Octroi des crédits immobiliers : l’analyse d’Erwann Bonnet (Partie 2)

Ceci est la deuxième partie de l’interview d’Erwann Bonnet qui fait suite au premier article dédié à l’octroi des crédits immobiliers.

Le gouvernement a exprimé fin 2023 son souhait de relancer le crédit immobilier.
Le 9 novembre 2023, François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France déclarait « nous sommes en train de gagner la bataille contre l’inflation et sauf surprise, sauf choc, la hausse de nos taux directeurs, c’est fini » ; il a par la suite souligné le besoin de mieux surveiller les taux de refus.
Réuni le 4 décembre 2023, sous la présidence de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) a assoupli les règles d’octroi d’un crédit immobilier face à la chute de la production en 2023.
Selon vous, ces annonces seront-elles suffisantes pour restaurer l’accès au crédit ?

 

Conformément à son intention annoncée lors de la séance précédente, le Haut Conseil a décidé d’apporter trois ajustements techniques à la norme, prenant acte de certaines difficultés opérationnelles dans l’utilisation des dérogations et de la dynamique du marché, dans le respect des exigences de stabilité financière.

Ainsi, il précise que la souplesse d’appréciation accordée à l’ACPR lors de la séance de juin, en matière de conformité de la norme, s’entend pour les limites d’allocation au sein de la marge de flexibilité de 20 % ainsi que sur la marge totale de 20 %. En cas de dépassement limité constaté sur un trimestre, l’ACPR pourra considérer que le respect de ces limites sur la production globale de ce trimestre et des deux trimestres suivants constitue une action correctrice appropriée et suffisante.

Par ailleurs, le Haut Conseil a décidé d’autoriser les établissements de crédit à exclure la charge d’intérêt associée aux prêts relais lorsqu’il s’agit d’apprécier le taux d’effort de l’emprunteur, lorsque la quotité de financement est suffisamment prudente, c’est-à-dire inférieure ou égale à 80 % de la valeur du bien mis en vente.

Enfin, afin de favoriser les travaux de rénovation énergétique, le Haut Conseil a décidé d’abaisser à 10 % du coût total de l’opération le coût des travaux permettant de prendre en compte l’existence d’un différé d’amortissement.

Très clairement, ces mesures vont dans le bon sens mais demeurent de mon point de vue insuffisantes pour accompagner encore plus efficacement les primo-accédants ainsi que les investisseurs qui sont les deux segments de clientèle les plus impactés par l’application des normes HCSF et ce, a fortiori dans un contexte où le prix de l’immobilier reste élevé.

Je rappelle, par ailleurs, que notre politique d’octroi du crédit habitat ne repose pas uniquement sur le niveau de taux d’endettement de nos clients mais prend en compte notamment le reste à vivre de nos clients. Cet indicateur de solvabilité final de nos clients est important mais n’est pas pris en compte par la norme HCSF. Enfin, cette norme et ses sous-critères associés est complexe à décliner opérationnellement dans un réseau de banques de détail dans le cadre de la maximisation de l’utilisation de l’enveloppe des 20% dérogatoire tout en ne la dépassant pas. Ces différents éléments participent nécessairement à une éviction de financement de certains projets de nos clients.

 

Sera-t-il plus facile d’emprunter en 2024 ? Quelles sont les prévisions et les axes stratégiques de la CE IDF pour l’année qui vient de débuter ?

Avant d’évoquer les conditions d’emprunt 2024, il me semble important d’essayer de recontextualiser le marché de l’immobilier de l’exercice 2024. En effet, en matière de transactions immobilières, une diminution du volume pour cette nouvelle année 2024 est anticipé avec une estimation de 800 000 ventes. Ce niveau de transactions serait un chiffre encore plus bas que celui de 2023 qui a atterri à 875 000 ventes, en baisse lui aussi de 20% par rapport à l’année 2022. Le chiffre de 875 000 transactions, si on le ramène à la population française n’est pas abyssal. Avec 1,29 transactions pour 100 habitants, il nous renvoie à l’année 2016 ou encore à la période 2000-2007. C’est en revanche la violence de l’ajustement qui frappe, encore plus marqué que celui de 2008-2009. Enfin, ce chiffre de 875 000 transactions parait fragile en ceci qu’il repose sur un nombre inhabituellement élevé de transactions réalisées sans recours au crédit.

Les interrogations que nous pouvons avoir sont au nombre de deux : est-ce que ce volume de transactions anticipées en 2024 trouvera facilement sa solution de financement et est-ce que les conditions de marché et le contexte règlementaire ainsi que le positionnement des banques seront plus favorables que 2023 pouvant induire un nombre de transactions supplémentaires par rapport à cette anticipation de transactions ?

À titre personnel, je suis plutôt très positif sur la dynamique de financement de l’immobilier pour cette nouvelle année 2024 par rapport à 2023 pour les 5 raisons suivantes :

  • Un frein au financement qui ne se reproduira pas en 2024 est l’impact réglementaire du taux d’usure qui a créé un nombre d’évictions important de demandes de financement des clients en 2022 et 2023. La mensualisation du taux d’usure de février à décembre 2023 a permis aux banques de revenir sur le crédit immobilier en leur donnant plus de marge pour fixer leur taux et surtout de pouvoir prêter en respectant la règlementation du taux d’usure.
  • Malgré des appels du pied des acteurs de marché appelant à une simplification des conditions d’accès au crédit, le HCSF s’est démarqué par sa rigidité. Il y a eu en effet un « No Go » pour une hausse du plafond d’endettement de 35% alors même que les banques intègrent surtout la notion du reste à vivre dans leur politique d’octroi de crédits immobiliers. Les dernières évolutions techniques vont cependant dans le bon sens et notamment l’exclusion des prêts relais dans le calcul du taux d’endettement. Cela ne devrait pas conduire à débloquer le marché mais conduira cependant à fluidifier la décision d’octroi des banques en matière de crédit immobilier pour les clients ayant un taux d’endettement supérieur à 35%.
  • La volonté stratégique des banques françaises de revenir fortement dans le financement des projets immobiliers de leurs clients me semble affirmée en 2024 et a déjà commencé fin 2023. En ce sens, la Caisse d’Épargne Île-de-France a décidé de réouvrir notamment le crédit immobilier sur une durée de 30 ans pour les primo-accédants de moins de 35 ans. Par ailleurs, je pense également que les banques françaises sous l’impulsion notamment de la Banque de France maximiseront encore plus la consommation de leur enveloppe dérogatoire HCSF de 20% sur l’exercice 2024.
  • Le niveau des taux d’intérêt ont atteint leur plafond en 2023 et ce niveau de taux devrait baisser en 2024 dans le cadre de l’anticipation de la baisse des taux directeurs de la BCE. En effet, l’inflation étant nettement redescendue fin 2023, la Banque Centrale a stoppé sa politique de resserrement monétaire et une détente significative des taux d’intérêt est attendue à minima au Printemps 2024. Cette baisse de taux en 2024 devrait conduire à une resolvabilisation des ménages en complément des augmentations de salaires perçus dans le cadre de la lutte contre l’inflation.
  • Enfin, nous devrions assister en 2024 à une baisse poursuivie des prix de l’immobilier, avec une baisse moyenne anticipé de moins 4% en moyenne au niveau national. Le Groupe BPCE estime quant à lui que les prix devraient fléchir plus fortement entre moins 8 et 9%. Néanmoins, un certain nombre de ménages qui voient toujours la pierre comme une valeur refuge pensent encore qu’ils vont augmenter et ce comportement ralentit la baisse des prix. Le refus des vendeurs de baisser leur prix gèle le marché de l’immobilier, les acheteurs s’attendant quant à eux à une baisse des prix dans le prolongement du quadruplement des taux en 20 mois. Je pense donc qu’il y aura une baisse des prix au 1er semestre 2024 qui pourrait prendre fin avant la fin de l’année 2024. En effet, les vendeurs ont conscience désormais de la nécessité d’ajuster leur prix sur le budget des acheteurs s’ils veulent vendre. Cette nécessité sera renforcée par ailleurs par le débouclement obligatoire des nombreux prêts relais en cours d’une durée de 24 mois qui vont devoir être remboursés et qui ne pourront l’être uniquement par un ajustement des prix.

 

Nous remercions chaleureusement Erwann Bonnet pour cette interview. 

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